« Il s’est glissé dans mon lit et a tenté de m’entraîner dans un rapport sexuel. J’avais 12 ou 13 ans, j’étais prépubère. »
Le scénariste Bernard Dansereau (, ) affirme à son tour que le cinéaste Claude Jutra – son parrain – l’a agressé sexuellement. Son témoignage livré par écrit à s’ajoute à celui de Jean (nom fictif), qui nous affirmait plus tôt cette semaine qu’il avait été victime d’agressions répétées de Claude Jutra entre l’âge de 6 et 16 ans.
Un soir qu’il dormait chez Claude Jutra, ce dernier l’a entraîné dans une chambre, raconte M. Dansereau. « Il n’y a jamais eu quoi que ce soit d’ambigu dans nos rapports. Claude était un parrain modèle jusqu’au soir où, un peu soûl (ou peut-être même beaucoup ?), il s’est glissé dans mon lit », indique-t-il dans sa lettre envoyée à à la suite d’une première entrevue.
Après ces événements, qui sont survenus au début des années 70, le fils du réalisateur et producteur Fernand Dansereau a cessé de voir Claude Jutra pendant deux ans. « Plus tard, j’ai repris contact avec lui. Nous n’avons jamais reparlé de ce qui s’était passé, mais Claude avait arrêté de boire », poursuit-il.
À l’âge adulte, les deux hommes avaient rétabli les ponts. Ils ont même travaillé ensemble sur l’écriture d’un scénario, sans grand succès, raconte Bernard Dansereau.
« Je crois avoir essayé fort que notre relation ne se résume pas à cette soirée malheureuse. Il était toutefois très clair, dans mon esprit, que Claude était pédophile. La réaction de ceux qui n’aiment pas ce mot me laisse perplexe. »
— Extrait de la lettre de Bernard Dansereau à
« Ce que j’ai vécu avec Claude n’a certainement pas été un plus dans ma vie, mais ça ne se compare aucunement à ce qu’a pu vivre Jean, à qui vous avez consacré un reportage. Je ne sais pas si Jean et moi, nous nous sommes croisés dans l’appartement de Claude, mais quoi qu’il en soit, je compatis avec lui », ajoute Bernard Dansereau, précisant qu’il n’accorderait aucune autre entrevue sur ce sujet.
Bernard Dansereau a raconté pour la première fois son histoire à son père, Fernand Dansereau, il y a deux ans. En entrevue avec, le scénariste de la télésérie explique qu’il a été « étonné, attristé et en colère » contre son défunt ami, dont il avait fait la connaissance en 1955 lors de son arrivée à l’Office national du film (ONF).
« Claude, c’était un ami. On a fait plusieurs films ensemble, il était aussi le parrain de Bernard. Je n’avais jamais entendu parler de ces rapports-là. Je le savais homosexuel, je le savais en fait multisexuel, mais je ne le connaissais pas pédophile. »
— Fernand Dansereau, en entrevue avec
« Je suis triste. J’éprouve [aussi] de la compassion pour toutes les victimes. J’éprouve de la compassion pour Claude, aussi. Quand Bernard m’a annoncé ça, j’ai eu un mouvement de colère, mais c’est passé depuis ce temps-là. Je trouve que Claude a vécu, il me semble, une terrible solitude. Une solitude à cause de son attrait pour les jeunes garçons, mais une solitude aussi comme cinéaste [ayant] des difficultés avec sa carrière. »
Les allégations de pédophilie contre Claude Jutra ont été mises au jour samedi dernier. rapportait que dans sa biographie du cinéaste, l’auteur Yves Lever affirmait que le réalisateur de était pédophile.
Mercredi, a publié le témoignage de Jean (nom fictif), qui soutient avoir été agressé sexuellement dans son enfance par Claude Jutra.
Dans les heures suivant la publication du témoignage, la ministre de la Culture, Hélène David, demandait à l’organisme qui chapeaute la soirée des prix Jutra de changer le nom du gala.
« Vous avez lu comme moi : c’est une présumée victime au sens légal du terme. C’est quand même insoutenable. C’est quelqu’un qui raconte ce qu’il a vécu depuis l’âge de 6 ans, pendant 10 ans. Il a des sœurs qui témoignent, aussi une amie de la famille qui est quand même quelqu’un de spécialisé en art-thérapie, qui l’a accompagnée. Compte tenu de ce qui est écrit, il faut prendre ça au sérieux. Je pense que vraiment, vu le côté totalement insupportable d’un acte criminel, il faut absolument demander à ce que ce nom de Jutra soit modifié », avait-elle soutenu.
Quelques instants plus tard, à l’hôtel de ville de Montréal, le maire Denis Coderre saluait la sortie de la ministre, ajoutant que la Ville retirerait le nom du cinéaste de ses rues et ses parcs. D’autres villes, comme Québec, Candiac et Lévis, ont également fait de même.
En début d’après-midi, mercredi, l’organisme Québec Cinéma, qui organise la soirée récompensant l’excellence du cinéma québécois, confirmait que le gala n’afficherait plus le nom de Jutra, le 20 mars prochain. Un comité de « sages », présidé par la juge à la retraite Suzanne Coupal, a depuis été chargé de trouver un nouveau nom.
Jeudi, la Sûreté du Québec (SQ) a offert à Jean de porter plainte. Il n’a toujours pas pris de décision à cet égard. Quant à Bernard Dansereau, il nous a affirmé qu’il n’avait pas l’intention de le faire.